Photo de classe, Lutte de classes

Texte paru dans l’édition du 22/02/06 du journal l’Humanité

A trente ans, lorsqu’on vit toujours dans le quartier dans lequel on a grandi, il y a un exercice très facile à réaliser qui peut vous faire rire des heures. L’astuce, c’est de retrouver des photos de classe et de rechercher dans le quartier ceux qui y figurent. Entre deux voyages, on peut se retrouver côte à côte le temps d’un repos au pays. Si l’on veut s’employer au « sport national » de Seine-Saint-Denis, le taquinage artistique, les photos de C.P constituent un point de départ fameux.
Très récemment, avec quelques anciens camarades, nous nous y sommes adonnés avec toujours autant de verve et de plaisir. Néanmoins, il m’est revenu un souvenir plus enfoui, une expérience dont nous n’avions jamais recausée.
En classe de C.P, il s’était produit quelque chose de tout à fait unique. L’institutrice, cette année-là, distribuait encore quelques bons points aux élèves méritants. Cette pratique désuète induisait à l’intérieur de notre jeune groupe social des formes de barèmes d’excellence et de médiocrité certainement très nocives, quand on y repense. Comme partout, il y avait les bons, les moyens et les mauvais élèves. Le système de notations reste un système, avec ses privilégiés, ses précaires et ses exclus. Dans la classe, il y avait un chef. Redoublant donc plus âgé, il bénéficiait de notre respect. Il était plus fort en coups de poing qu’en bons points, sans pour autant être un mauvais bougre. Un beau jour, alors que nous étions réunis entre garçons dans un coin de la cour, il exigea notre attention et nous fit une proposition. Son idée était de rassembler tous les bons points gagnés et de les répartir équitablement en fin de semaine. Par conséquent, chacun pouvait espérer gagner une image, un carnet ou des bonbons. Son autorité naturelle achevant de nous convaincre, nous mîmes en place ce nouveau système de redistribution. En tant que bon élève, je me souviens avoir été satisfait de mon salaire. De plus, cette organisation secrète m’excitait. Mes parents m’ayant assez tôt sensibilisé au partage, je ressentais à travers cette entreprise d’envergure un sentiment de maturité politique. Ce fut notre première expérience collectiviste. A y repenser aujourd’hui, assis sur un banc, ça prête à sourire ; ou à grimacer, quand on pense que notre chef historique purge une peine de quatre années à Fleury-Mérogis.