Place de Clichy cherche République, désespérément !

Texte paru dans l’édition du 20/02/06 du journal l’Humanité

Et s’il avait fait meilleur, l’aurions-nous été... meilleurs ? Aurions-nous été davantage qu’une poignée de vivants à condamner la tragédie poignante des migrants ? Quelques milliers de personnes, collectifs de sans-papiers et militants infatigables. Les CRS sont presque aussi nombreux que nous. S’ils étaient moins « 1er degré », on aurait pu organiser pour se réchauffer un « douaniers-contrebandiers ». Le problème, c’est que l’on sait où cela mène ; dans des centres de rétention miteux qui ont oublié l’histoire de ce pays. Si on plongeait tous les Français dans un bain d’histoire coloniale avant de les lâcher pour un séjour prolongé à Bamako, Tambacounda, Delhi ou Tirana, à la place de Clichy, y’aurait plus de place pour les clichés ; il ferait meilleur et on serait meilleur. En défilant sur le boulevard Magenta, cette considération simple qui loue les bienfaits de l’empirisme m’a donné l’idée d’un petit slogan de manif :

« Sarkozy n’oublies pas
que tu dois au hasard
D’habiter à Neuilly
et pas à Zanzibar
Sarko à Bamako,
t’aurais moins fait l’malin
T’aurais connu l’ fardeau
de vivre clandestin ! »

Ce couplet a eu son petit succès et m’a spontanément permis de conquérir un nouveau public. Très vite, je lui ai proposé de nouvelles paroles, rythmiquement plus élaborées, avec des mesures impaires et des respirations plus inattendues :

« Sarkozy, si t’avais grandi en Seine-Saint-D’nis
Tu saurais que pour nous, colonie signifie
Le moment précieux où l’on partait en vacances
Enfants de toutes les couleurs, dans les 4 coins de France ! »

Non content d’enthousiasmer le seul cortège PCF, je décidai de proposer un slogan unitaire sous forme d’invitation chantante aux camarades de la LCR, qui nous suivaient intrigués.

« Sarkozy, tu nous inspires pour nos chansons
Mais tu nous fais vomir à la télévision
Et si tu connaissais les réalités d’la misère
Tu s’rais au PCF, ou à la LCR ! »

Malgré quelques sourires gênés, nous constatâmes une légère prise de distance reprécisant l’indépendance des cortèges. J’en discutai avec un de ceux qui présentaient une mine hostile en réaffirmant que l’humour était un huilage essentiel de la dialectique et que tout seul, il était pas bien nombreux. Ça l’a agacé, la pluie n’arrangeant rien...
Puis nous sommes arrivés à République. Une petite estrade avait été montée. Disparues les banderoles ; majoritairement, des Africains sans papiers ni parapluies écoutant les mots désespérément vibrants de porte-parole fatigués par des années de lutte ; les mêmes CRS autour, toujours aussi 1er degré, et en lieu et place, une république presque morte.