Transports Pitiot Père & Fils, Genèse

L’an dernier, je me suis dit : « Comment pourrais–je contacter Gérard Pitiot ! Ce chanteur que j’écoute depuis toujours, dont j’ai tous les albums, avec qui j’ai réussi à me faire prendre en photo tant de fois ! Chante–t–il encore ? Ecrit–il toujours ? Habite–t–il en France ou bien coule–t–il des jours calmes sous un autre soleil ? Existe–t–il un manager qui pourrait me mettre en lien avec lui, sans craindre que je sois trop intrusif, envahissant… ».

J’ai fini par me dire que je ferais bien d’en parler à ma mère, qu’elle aurait bien une idée là–dessus.
Elle répondit spontanément à mon interrogation :
« Gérard Pitiot ? Bah justement, il est en bas, sur le parking, et il attend que tu l’aides à remonter les courses ! ».
Soudain, j’ai réalisé que j’étais sacrément chanceux !!! Ce chanteur, qui avait tant influencé mon travail, encouragé mes élans les plus éparpillés, financé mes inscriptions simultanées au piano et au judo, n’était autre que mon père ! Je pouvais donc, grâce à ce lien naturel, accéder directement au bonhomme !
Je descendis immédiatement sur le parking et le reconnus aussitôt. Il n’avait en rien changé, la même stature, le même air vif, le même regard que la fois où je l’avais quitté, c’est à dire deux heures auparavant. Je me plantai devant lui et l’abordai avec un aplomb déconcertant, pour un enfant de 37 ans :
– Gérard, me reconnais–tu ?
Il me répondit, non sans laisser transparaître un léger agacement :
– Bah oui, c’est fait depuis septembre 75, à la mairie du 10ème arrondissement, pourquoi ?
– Parce que j’ai un truc à te proposer cow–boy !
En me tendant un pack de 6 bouteilles de Cristaline et un sac dans lequel cohabitaient pêle–mêle fromages au lait cru, jus d’ananas et biscottes au sarrasin, il dégaina :
– Qu’est–ce que tu cherches exactement Billy ?
Je perçus immédiatement le clin d’oeil à la figure légendaire Billy the Kid et me sentant considéré à ma juste valeur, je répliquai :
– Ecoute Gégé, si tu veux, tous les deux on s’associe ; j’ai le coup du siècle à te proposer.
Après s’être à son tour lesté d’une demi douzaine de sacs contenant des variétés de produits périssables il me répondit :
– Ca dépend, c’est quoi ton affaire ?
Sûr de mon effet, je poursuivis :
– Tu connais Johnny Halliday ?
– Ben oui
– Et tu connais son fils, David ?
– Ben….oui !
– Et tu n’as jamais rien remarqué de particulier ?
– Ben, non.
Je constatai qu’il n’avait pas réfléchi à la question avec le même degré d’investissement que moi. Afin de stimuler davantage sa réflexion, je repris ma série de questions :
– Tu connais Louis Chédid ?
– Ben oui, quand même.
– Et tu connais aussi Matthieu Chédid ?
– Ben….oui !
– Tu vas pas me dire que là t’as rien remarqué de particulier.
– A propos du look ?
– Non.
– A propos….de leur haleine ?
– Mais n’importe quoi ! Je te parle à chaque fois d’un père et de son fils !
– Ah oui !
– Et de plus, chose signifiante : à chaque fois ils font le métier de chanteur.
– C’est juste !
Tout en montant les escaliers de l’immeuble, il s’enquit plus directement de ce que je j’échafaudais :
– Et c’est quoi ton idée ?
– Ecoute moi bien ! Ces mecs–là, et encore moins leurs soit disant conseillers, managers et autres intermédiaires éclairés, n’ont pensé à travailler autour de l’évènement cristallisant !!!
– Qu’entends–tu par événement cristallisant ?
Me sentant conforté par sa curiosité naissante, j’entamai avec emphase le couplet initial de cette présentation culottée :
– Je pense à l’initiative historique de réunir dans un même projet discographique, un père et son fils, et ce dans l’espoir de créer un phénomène médiatique totalement inédit !!!
– Mouais…
– Que m’est–il permis de saisir à partir de ce mouais ?
– Il t’est permis de saisir que je n’ai pas les clefs de la porte d’entrée et que je commence à fatiguer de porter tous ces sacs de commissions, déjà que je me suis tapé tout seul le chargement au Carrefour d’Aulnay.
– D’accord, je comprends ta surprise et ton trouble. Si je parviens à ouvrir cette porte d’entrée, me donnes–tu ta parole que dans la minute qui suit nous reprendrons le fil de cet échange ?
– Oui, mais magne toi.
Après avoir tout déposé dans la cuisine, je l’harponnai derechef :
– Papa (je me doutais qu’avec une pareille insinuation, je pouvais espérer qu’il réagisse), ne penses–tu pas que proposer au large public amoureux des mots, de la musique inspirée et du bel ouvrage, un répertoire qui réunisse un père et son fils, dans le respect de l’univers de l’un et de l’autre, lui assurant quelques concerts familiaux et émotions nouvelles, reviendrait tout bonnement à réaliser le casse artistique du siècle ?
– Sans doute, mais encore faudrait–il que l’on puisse mettre la main sur ces deux loustics !
J’accusai à cet instant le premier coup au moral. Après avoir repris mes esprits, je me repositionnai au centre du ring avec dans l’idée de développer une stratégie plus explicite :
– Mais c’est nous dont il s’agit !!! Deux chanteurs, un père, un fils !
Il m’observa sans articuler le moindre son. Je repris :
– Hou hou, Gérard, tu m’entends ?
Il semblait sonné comme après un uppercut, ou plutôt comme après l’ouverture d’un courrier de Pôle Emploi t’annonçant que dorénavant les annexes 8 et 10 des artistes et des techniciens du spectacle seraient directement sous la coupe d’une commission paritaire cogérée par le Medef et la Cfdt. Je le laissai recouvrir l’usage du langage, non sans répondre à l’injonction maternelle de ranger dans le réfrigérateur tous les produits ayant besoin d’être réfrigérés. Et puis, il claqua sa langue, comme le font les cow–boys du grand ouest et reprit :
– Je suis ton homme petit, tu as ma parole, mais attention, pas d’entourloupes.
J’osai m’approcher de lui. Nous nous serrâmes dans les bras, actant par ce geste d’affection commune l’engagement qui nous lierait tout au long de cette aventure. Je me repliai un quart d’heure afin de consulter mes mails. Lorsque je revins, je le trouvai à éplucher un potiron, tout en écoutant le 13h de France Inter. Je sentis naturellement qu’une dynamique venait de naître, et alors que ma mère et lui ergotaient à propos de savoir si leur Kangoo pouvait encore faire 800 km sans risquer le désossage, j’entrepris de déboucher une bouteille de Cahors pour fêter sobrement l’évocation de ce nouvel horizon lumineux.
Mon père lança à ma mère, entre deux arguments automobiles :
– Tu trouves pas qu’il picole pas mal lui pour son âge ?
Le projet des Transports Pitiot Père et Fils était lancé. A cet instant, nous ignorions encore qu’il déboucherait sur un des doubles albums les plus riches de l’histoire de la chanson française. Le mois de mars 2013 allait bientôt accueillir cet opus d’une incroyable modernité !
Alors que j’entrevoyais ces perspectives délicieuses, Gérard Pitiot me questionna :
– Mais au fait, Julio Iglesias et son fils, ils ont pas déjà fait un truc ensemble ?
Je sus à partir de ce moment là que le doute était permis et qu’il nous faudrait implorer sans relâche la sollicitude des forces du hasard.