Le Petit litre rouge de Momo sait tout

Thomas Pitiot, 2003, in La Terre à Toto

Dans le p’tit Ivry rouge, y’a un gars on dirait Socrate ;
Porte la barbe de cent jours, à la main une cigüe de picrate,
Il est prêt à donner des conciliabules de salive sucrée
Pour peu qu’une demoiselle le remercie d’un baiser salé.
 
Il a bien sûr tenté la révolution culturelle,
Dans son quartier c’est triste, c’est plutôt l’action culturiste.
Tout le monde l’a entendu dans sa rue son histoire de fou,
Les gens disent qu’il s’agit du petit litre rouge de Momo sait tout.
 
Toutes ses informations, il les distille au compte à goutte de son goulot ;
Il dit en avant pour l’grand bond, c’est la longue marche de travers jusqu’au prochain bistrot.
Il dit qu’y a un message dans le fond de toutes les bouteilles,
Que son bateau picrate a tout écumé et que les mers veillent.
 
Couplet parlé :
« Ouais c’est moi, l’mec en noir, aux cheveux blancs, l’père noël des anars.
J’écris pour dans deux….minutes, pour tous les p’tits veinards qui boiront mes millésimes de rimes pleines d’espoir !
J’ai tout lu mon pote moi, la politique d’Aristote, les classiques et leurs litotes.
J’ai rencontré Baudelaire, quoi j’ai pas l’air ?
J’connais Lucky Luke et San Antonio, c’est pas beau ?
J’touche le RMI, la rente aux métiers d’intellectuels, j’suis une sorte de matière grise payée par l’Etat ; c’est pour ça qu’j’suis toujours gris et rond, petit patapon , petit patapon.
Mais faut qu’j’y aille, faut qu’j’termine le discours à l’assemblée que m’a commandé ton député… »
 
Quelque part dans un square, une statue parle verlan toute seule ;
Momo vient lui parler, quelquefois elle se fout d’sa gueule.
Il l’insulte en arabe et le monument n’articule plus rien
Car les statues toutes nues, c’est bien connu, ne parlent que le grec ancien.
 
Il a toujours sous l’bras un paquet de feuilles manuscrites.
Il prétend qu’y a sa vie là d’dans, toute sa vie, et qu’il est grand temps qu’on l’édite.
Dès qu’il veut prendre le large, il enfourche sa motobiographie.
Il a choisi la marge pour sténographier sa philosophie.
 
Il a autour du doigt une alliance qui brille encore un p’tit peu ;
Sur sa vieille main toute oxydée, elle lui rappelle qu’il a été bienheureux,
Qu’on l’appelait mon amour, mon papa, dix ans en arrière
Juste avant qu’on le remercie avec une enveloppe, son dernier salaire.