Mamadou l’étranger

Thomas Pitiot, 2006, in Griot

Tous les gens que tu as connus
Sont rentrés au pays ou sont mourus,
Aujourd’hui ils appartiennent à l’ancien siècle.
Tout seul Mamadou tu es resté,
Dans la petite chambre au foyer ;
Là-dedans, tu te sens quand même un peu chez toi.
Là-dedans, tu te sens quand même un peu chez toi.
 
Tes enfants, tu les as connus
Tout petits mais si peu vus,
Aujourd’hui ils sont grands et toujours au village.
Ta femme qui était si belle
A de moins en moins de tes nouvelles ;
Pour elle et les autres, tu continues à envoyer de l’argent.
Pour elle et les autres, tu continues à envoyer l’argent.
 
Mamadou tu sais que beaucoup t’envient,
La France a tellement d’amis,
Tu aimerais conseiller de pas voyager ici ;
Mais Mamadou, tu es toujours grand et fier,
Ils ne sauront pas comme tu as pleuré
Et que depuis tout ce temps tu es toujours étranger.
Et que depuis tout ce temps tu es toujours étranger.
 
La femme de l’administration t’a dit :
« Comment ça, vous n’écrivez pas le Français ?
Pourtant vous êtes ici depuis les années soixante... ».
Mamadou tu parles toutes les langues de l’Afrique
Tu n’as jamais humilié personne,
Tu souris en disant « Madame attends je t’explique »
Tu souris en disant « Madame attends je t’explique ».
 
Comme les vieux ouvriers français t’as mis
Le costume bleu de travail comme un ami ;
Le soir tu te reposes dans le boubou de bazin.
Les gens sont moins curieux qu’avant,
Les petites françaises font des tresses,
Derrière ton grand sourire se cache ta détresse.
Derrière ton grand sourire se cache ta détresse.
 
Quand tu repasses près du chantier,
Tu repenses à toutes ces années ;
Le patron portugais était gentil, un peu...
Tu te disais qu’il a oublié
Que son père à lui même avait été
Autrefois Mamadou comme toi un étranger
Autrefois Mamadou comme toi un étranger.
 
Comme famille ici tu n’as plus qu’un frère
Marié à une fille de Montpellier ;
Il se fait appeler Zan-pierre, tu as bien rigolé.
Un jour quelqu’un t’as emmené
En Bretagne et tu as vu la mer,
L’eau était si froide sur tes pieds, tu ne t’es pas baigné.
L’eau était si froide sur tes pieds, tu ne t’es pas baigné.
 
Mamadou autrefois tu as connu
Une française qui t’aimait bien ;
Elle est partie pour un autre, tu as eu beaucoup de chagrin.
Les jeunes garçons au foyer,
Souvent ramènent des prostitués ;
Les yeux fermés, tu les entends rire sans pouvoir dormir.
Les yeux fermés, tu les entends rire sans pouvoir dormir.
 
Et quand tes rêves te conduisent
A la terre rouge de l’enfance,
Tu te dis qu’ils ont menti et en silence,
Tu déroules ta vie sans colère
Le front sur le tapis de prière,
Pour ton ancien colon, tu es resté l’étranger.
Pour ton ancien colon, tu es resté l’étranger.