Paris-Gao

Thomas Pitiot, 2001, in Le Tramway du bonheur

Ça y est j’enfourche un charter
Mais pour moi toubabou ça signifie moins cher et pas enfer,
Ils prennent différents airs les charters pour traverser la mer....
J’suis pas en fuite, c’est pas l’retour
J’ai pas d’famille où j’vais me poser, pas d’souvenirs,
Juste les yeux écarquillés, pour m’en fabriquer.
 
Gao, mali ; une ville en terre
Des maisons qui s’élèvent des gens assis par terre
A converser, à boire le thé.
Une chèvre en train d’griller,
Une autre qui mange du plastique à mes pieds :
J’établis le rapport vite fait, bon appétit,
C’est pas bien grave on mange pas très équilibré
Non plus dans mon pays.
 
Premier thé, amer comme la mort
A la santé de l’Azaouad à la lisière du Sahara
Ngé son verre gnékélé
Thé prémié verre gnékélé
J’fais des courbettes aux chameaux
Et des clins d’yeux aux chamelles,
J’écoute le rythme des dunes et les syncopes du silence
Qui s’balancent, qui s’balancent....
 
Eh, monsieur du chameau,
Que je me sens petit, que vous me semblez haut.
C’est donc ici chez vous,
Silencieux, bien exposé.
Vous savez que chez moi ces goujats
Ont osé diffuser votre portrait, pour vendre des cigarettes,
Mais excusez-les, vous savez c’que c’est
Ils ont le cerveau ensablé.
 
Deuxième thé, doux comme la vie
Et dans les ruelles de Kidal, y a des p’tits yeux qui s’emballent,
Ngé son verre gnékélé
Thé deuxième verre gnékélé
Rongés par la malaria :
Cadeau-polio, destin-bancal
Et tout à coup j’entends chanter « Mandjou »,
La voix de Salif régale sur ce vieux poste qui râle.
 
Quelque part dans une ruelle,
A l’heure où te pique le moustique Anofel femelle,
Des gens sont concentrés, autour d’une vielle télé
Ils écoutent les propos d’un président français
Sur des questions mondiales,
Il va quand même pas nous refaire le coup de la fracture sociale,
Mais un p’tit bonhomme m’interpelle
« S’il te plaît monsieur, donne-moi un cadeau, des francs, un cahier ou un stylo. »
Si j’pouvais bonhomme j’te ferais millionnaire
Et j’détournerais le fleuve Niger dans les bureaux du FMI,
Qu’ils boivent enfin les tasses de la misère
Après des siècles d’infamies
Si j’pouvais j’te donnerais un stylo enchanté
Pour que tu réécrives l’histoire, que tu rayes les chapitres noirs,
Réconcilier nos ancêtres,
Donner de l’espoir à nos mémoires.
 
Troisième thé, sucré comme l’amour
Et dans les ruelles de Gao, j’ai une pensée pour celle qui m’aime
Ngé son verre gnékélé,
Thé troisième verre gnékélé
Avec son sang mêlé, mais j’te la présenterai Mahmoud
Le jour où tu viendras
Et avec mes amis on boira l’thé dans mon p’tit Sahara,
Enfin dans l’bac à sable qui s’trouve en bas de chez moi....